Le Debrief Acte XVII - « Le Misanthrope » au théâtre de l'Athénée
La saison des fraises n’a pas encore commencé… sauf à la Comédie-Française ! Ici, il ne s’agit pas du fruit rouge et sucré mais d’un accessoire bien reconnaissable au théâtre. Pour la représentation marathonienne du Soulier de satin (6h30 tout de même), nous avons reçu une fraise en papier à arborer autour du cou à chaque passage du roi d’Espagne. Distribuées par les comédien·nes aux spectateur·ices des premiers rangs, nous n’étions pas peu fières d’appartenir à cette cour fictive grâce à nos collerettes ! Les regards jaloux de nos voisin·es de derrière nous ont laissé penser un court instant que nous pourrions même remettre cet accessoire à la mode, qui sait ? Mais de la scène à la rue… Nous laisserons le soin à Serge Bagdassarian de nous faire rêver avec sa fraise démesurée signée Christian Lacroix. Et en parlant chiffons…
Sortez vos habits de fête pour ce Misanthrope de Molière – un détour par cette vidéo s’impose pour celleux qui n’auraient pas révisé leurs classiques récemment – mis en scène par Georges Lavaudant au théâtre de l’Athénée !
Comme le veut l’histoire, l’action prend place chez Célimène, jeune veuve aimant tout autant médire que batifoler, dans un décor qui évoque néanmoins plus un nightclub et des lendemains de soirée difficiles qu’un intérieur du XVIIIe siècle. Au centre d’une scène recouverte de confettis blancs comme neige se dresse un immense miroir teinté dans lequel les acteur·ices se reflètent et paraissent se dédoubler. À plusieurs reprises, ce panneau de glaces se tourne pour révéler l’envers du décor : l'impressionnante et très théâtrale garde-robe de Célimène. Quoi de plus naturel pour celle qui change de personnalité comme de costume, s’adapte à chacun et offre des serments d’amour sans compter ? C’est bien l'ambiguïté cultivée par tous les personnages du Misanthrope que semble mettre en exergue Georges Lavaudant. Même Alceste, qui tient l’honnêteté comme vertu suprême, ne peut s’empêcher d’adorer la changeante Célimène.
Célimène : Madame, on peut, je crois, louer et blâmer tout,
Et chacun a raison suivant l'âge et le goût.
Il est une saison pour la galanterie ;
Il en est une aussi propre à la pruderie. (…)
L'âge amènera tout, et ce n'est pas le temps,
Chère amie, comme on sait, d'être prude à vingt ans.
Acte III, Scène 4
Dans ce jeu troublant des mondanités auquel Alceste ne veut pas prendre parti et où l’air est aussi sirupeux qu’un cocktail, chacun·e retrouvera chez un personnage des traits de son – mauvais – caractère. La prompte à juger Arsinoé, l’effacée Éliante, le mesuré jusqu’à l’hypocrisie Philinte, les narcissiques petits marquis, le suffisant Oronte… Mélodie Richard dans la peau de Célimène, à la langue de vipère bien pendue, suscite notre empathie. Magistrale lors de sa passe d’arme énergique avec Arsinoé et émouvante quand le tourbillon de la fête la force à battre en retraite, ou du moins à s’asseoir seule au milieu des pauvres hommes blessés. S'il renforce son côté vieux sage, le choix d'un Philinte âgé nous interroge, lui qui désire épouser une Éliante ici jouée par la jeune Anysia Mabe. Une manière de dénoncer le patriarcat ?
Eric Elmosnino donne à voir un Alceste exsangue, au caractère toxique qui peine à émouvoir. Sa dernière réplique, à nos yeux la plus tragique (le fameux “Trahi de toute part…”), semble déclencher les rires chaque soir de représentation. Oui, on peut rire de tout et surtout de nous-mêmes car de mensonge en vérité, Molière nous rappelle que nul n’est parfait !
Vous souhaitez réviser un bon vieux classique comme on dit.
Vous voulez rire, car oui on rit beaucoup.
Vous croyez que l’amour vaut mieux que la domination !
À voir jusqu’au 30 mars dans la grande salle de l’Athénée, à l’accueil toujours aussi sympathique ! Avec Astrid Bas, Luc-Antoine Diquéro, Eric Elmosnino, Anysia Mabe, François Marthouret, Aurélien Recoing, Mélodie Richard, Thomas Trigeaud, Bernard Vergne et Marthurin Voltz.
Écouter Mélodie Richard et Éric Elmosnino au micro de Marie Labory dans l’émission Les Midis de Culture.
Découvrir la version du Misanthrope avec Ludmila Mikaël en Célimène et Michel Aumont en Alceste dans Les Nuits de France Culture.
Voir ou revoir Alceste à Bicyclette de Philippe Le Guay, histoire contemporaine librement inspirée du Misanthrope qui réunit Fabrice Luchini, Lambert Wilson et Maya Sansa dans un triangle amoureux !
Bande annonce d’Alceste à bicyclette de Philippe Le Guay
Pas de Debrief sans sondage… et puisque Célimène tient le haut de l’affiche ce mois-ci, qui est votre anti-héroïne de théâtre favorite ?
Petit extrait de Médée de Pasolini avec Maria Callas pour le plaisir ! Vous ne l’avez pas encore vu ? Nous non plus !
L’un reste, l’autre part… Le Haut du mois est décerné à Clément Hervieu-Léger nommé à la tête de la Comédie-Française. Si vous nous suivez depuis un moment, vous savez que le comédien-metteur en scène nous enthousiasme (la plupart du temps, disons 75% du temps). Son Misanthrope avec Georgia Scalliet et Loïc Corbery est resté gravé dans nos mémoires… avec un Serge Bagdassarian excellent en Oronte.
Le Bas du mois concerne la triste décision de Wajdi Mouawad de quitter prématurément la direction de La Colline, un an avant la date prévue. Gageons qu’il sera sincèrement regretté. Un signe supplémentaire de la mauvaise passe dans laquelle se trouve la culture française.
Qui parmi vous a réservé ses billets pour le festival d’Avignon ? Le Debrief a prévu d’y passer quelques jours… et nous serions ravies de croiser certain·es lecteur·ices sur place. Nous aurons l’occasion d’en reparler. En attendant, profitons du printemps et retrouvez nos critiques sur le compte insta du Debrief qui compte désormais plus de 1000 abonnés… Merci !

Clémentine & Laure