Le Debrief Acte XVIII - « La Ménagerie de verre » au Lucernaire
À la fin d’une pièce, êtes-vous pressé·e de rentrer ? Essayez plutôt de prendre votre temps et de laisser traîner vos oreilles… car les debriefs des rangs d’à côté sont souvent savoureux. C’était le cas après une représentation de Bérénice au Vieux Colombier en avril. Notre voisin de devant s’est rendu compte à la fin de la représentation que les rôles des confidents de Titus et Antiochus étaient tenus par un seul et même acteur : Alexandre Pavloff… Il n’en revenait pas de s’être laissé berner pendant 1h50. Après tout, c’est la raison pour laquelle nous avons créé cette newsletter. Les débats sans fin à propos des mises en scène, des comédien·nes, des costumes, des décors (ce gros rocher au sommet d’un piquet représente-t-il vraiment tous les états du cœur amoureux ? Suliane Brahim est-elle une Bérénice digne ou pleurnicharde ? Jérémy Lopez est-il meilleur dans la peau de l’empereur ou de son général rival ?) Si vous avez vu cette pièce de la Comédie-Française ou l’objet de cette newsletter, faites-nous part de vos commentaires…
Quand une pièce de théâtre donne son nom à un lieu de création, c’est un doux présage. Nous voulons parler ici de la Ménagerie de verre, pièce de Tennessee Williams écrite en 1944 et actuellement mise en scène au Lucernaire par Philippe Person.
Dans le Sud des États-Unis, durant la Grande Dépression, Amanda Wingfield (Florence Le Corre) vit seule avec ses deux enfants, Tom (Blaise Jouhannaud) et Laura (Alice Serfati), depuis que son mari – représenté par une souriante photographie en noir et blanc accrochée au mur – a pris la poudre d’escampette. Tom, également narrateur de l’histoire, rêve de suivre les traces de son père pour fuir une vie de travail à l’usine. Mais ses seuls échappatoires sont le cinéma, synonyme d’aventure, et la boisson. Laura, quant à elle, jeune fille fragile et boiteuse, passe tout son temps libre à s’occuper de sa « ménagerie de verre,» une collection d’animaux miniatures. Pour sa mère, le salut financier de la famille ne peut venir que d’un prétendant qui souhaiterait épouser Laura. Dans ce but elle pousse Tom à inviter son collègue, Jim (Antoine Maabed), à dîner.
TOM : Je vais au cinéma parce que - j’aime l’aventure. L’aventure c’est une chose que je ne trouve pas vraiment dans mon travail, alors je vais au cinéma.
AMANDA : Mais, Tom, tu vas au cinéma vraiment beaucoup trop souvent !
TOM : J’aime vraiment beaucoup l’aventure.
Il n’y a, pour ainsi dire, pas d’action dans La Ménagerie de verre, de fait les sur-titres sensés guider la progression de l’histoire sont superfétatoires. La première partie de la pièce voit se heurter les espoirs et désespoirs des trois personnages les uns aux autres dans un décor représentant le salon des Wingfield. De temps à autre, lorsque Tom effectue ses brusques sorties, la porte de secours s’ouvre pour laisser entrevoir un escalier et la silhouette d’un violoniste. Hors de l’appartement un autre monde semble exister mais il est aussi difficile d’accès pour les personnages que pour les spectateur·ices qui regardent ces derniers se débattre sans parvenir à trouver d’issue.
L’arrivée de Jim, dans la deuxième partie, fait basculer la pièce. Autrefois garçon le plus populaire du lycée, et aimé en secret par la timide Laura, sa présence vient troubler l’équilibre fragile de cette famille amputée de la figure patriarcale. L’ambiance en clair-obscur reflète les tourments de ces personnalités qu’a priori tout oppose. Il suffira d’une danse pour que ces deux êtres - l’un extraverti déçu par la vie, l’autre introvertie prête à se prendre au jeu de l’amour - s’accordent. Si le bonheur chez Tennessee Williams est fugace, l’émotion, elle, est profonde. Blessures cachées, ambitions ratées et peines de cœur sont autant de débris qu’on voudrait pouvoir recoller. Les plus sensibles d’entre nous ne manqueront pas de se reconnaître dans la fragile et pourtant si gracieuse Laura, subtilement interprétée par Alice Serfati. Cette mise en scène est un écrin pour cette comédienne lumineuse comme le verre de la ménagerie.
Vous n’avez pas le vertige (il y a beaucoup d’escaliers en colimaçon à monter)
Vous préférez le cinéma à l’usine
Vous n’avez pas peur des familles dysfonctionnelles
À voir au Lucernaire jusqu’au 1er juin, du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 17h30. Avec Florence Le Corre, Alice Serfati, Blaise Jouhannaud et Antoine Maabed.
À écouter : les cinq épisodes de la Compagnie des œuvres consacrés à Tennessee Williams
Revoir La Chatte sur un toit brûlant de Richard Brooks (1958) pour l’électricité entre Elizabeth Taylor et Paul Newman
Ce rêve en nous, avec ses mots à lui…
Pas de Debrief sans sondage… et puisque nous l’évoquions, quel est votre film préféré avec l’étoile Liz Taylor ? (Même si le plus grand rôle de sa vie fut sans doute son histoire d’amour avec les bijoux…)
De l’importance de soigner ses entrées dans le monde
Le Haut du mois est décerné au Soulier de Satin, largement récompensé lors de la cérémonie des Molières 2025. Une consécration pour Éric Ruf pour sa dernière année et son ultime mise en scène en tant qu’administrateur de la Comédie-Française. Pour ceux qui l’ont manqué, Le Soulier de Satin sera repris au Festival d’Avignon en mode aventure nocturne, de 22h à 6h du matin. Allez-y, il reste des places !
Le Bas du mois concerne une énième mise en cause d’une personnalité du théâtre dont le MeToo semble sans fin - ici Alil Vardar accusé “d’humiliations, de sexualisation à outrance et d’attouchements non consentis” par 20 comédiennes et dont Télérama a recueilli les édifiants témoignages. Une enquête signée Marine Lemesle à retrouver ici.
Si vous ne faites pas partie de la team Molières, appartenez-vous à la team Palmes ? La 78e édition du Festival de Cannes débutera le 14 mai. La double affiche réunit les sublimes Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant dans le film Un homme, une femme de Claude Lelouch, Palme d’or en 1966.
“— Lui : Dans la vie, quand une chose n’est pas sérieuse, on dit c’est du cinéma. Pourquoi vous pensez qu’on ne prend pas le cinéma au sérieux ?
— Elle : Peut-être parce qu’on y va que quand tout va bien ?
— Lui : Alors vous pensez qu’on devrait y aller quand tout va mal ?
— Elle : Pourquoi pas ?”
En attendant la prochaine newsletter, sautes d’humeur ou pas, théâtre ou cinéma, toustes en salles pour célébrer la création !
Clémentine & Laure 🦄